Pondělí, 6. října 2025

L’Afrique : nouvelle frontière des opportunités européennes ou occasion manquée ?

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BRUXELLES/PRAGUE – Alors que l’attention mondiale est concentrée sur les tensions géopolitiques en Europe de l’Est et en Asie, une transformation silencieuse mais monumentale sur le continent africain est en train de créer la plus grande opportunité économique du 21e siècle. Pour l’Union européenne, qui cherche de nouvelles sources de croissance, une autonomie stratégique et des partenaires fiables, l’Afrique cesse d’être un continent principalement associé à l’aide humanitaire et devient un terrain de jeu crucial pour sa prospérité future. La question n’est plus de savoir s’il faut s’engager en Afrique, mais à quelle vitesse et avec quelle efficacité, afin que l’Europe ne reste pas à l’écart pendant que d’autres acteurs mondiaux réécrivent les règles du jeu.

La vieille vision de l’Afrique comme un bénéficiaire passif de l’aide est révolue. C’est aujourd’hui un continent avec la population la plus jeune et la plus dynamique du monde, une classe moyenne en pleine expansion et une révolution numérique qui a sauté des générations entières de développement technologique. Pour l’Union européenne, dont la courbe démographique est en déclin et les marchés stagnent, l’Afrique offre une réponse à plusieurs défis existentiels. Les opportunités sont immenses et peuvent être divisées en cinq domaines clés et interconnectés.


 

1. La transition verte et les matières premières critiques : le carburant du Pacte vert européen

 

Le Pacte vert européen est le projet phare de Bruxelles, mais son succès dépend de l’accès aux matières premières minérales critiques. Et l’Afrique en est le trésor. La République démocratique du Congo détient plus de 70 % des réserves mondiales de cobalt, essentiel pour les batteries des véhicules électriques. La Zambie et le Congo sont des géants de la production de cuivre. Le Zimbabwe et la Namibie possèdent d’énormes gisements de lithium. L’Afrique du Sud est cruciale pour le platine et le palladium, indispensables pour les catalyseurs et les technologies de l’hydrogène.

Pour l’UE, le partenariat avec les pays africains dans ce domaine est absolument stratégique. Il ne s’agit pas d’un simple achat de minerai brut, un modèle que les gouvernements africains critiquent depuis longtemps. La grande opportunité réside dans les investissements conjoints dans les capacités de transformation directement sur le sol africain. La construction de raffineries et d’usines pour produire des précurseurs de batteries en Afrique apporterait un triple bénéfice :

  • Pour l’Europe : la diversification et la sécurisation des chaînes d’approvisionnement, réduisant ainsi la dépendance critique envers la Chine, qui domine actuellement le traitement de ces minéraux.
  • Pour l’Afrique : la création d’emplois à plus forte valeur ajoutée, le transfert de technologies et une part beaucoup plus importante des bénéfices tirés de ses propres richesses minérales.
  • Pour la planète : la possibilité de promouvoir et de financer des pratiques minières durables et éthiques, respectueuses de l’environnement et des droits de l’homme.

 

2. L’économie numérique et le dividende démographique

 

D’ici 2050, une personne sur quatre sur la planète sera africaine. La plupart d’entre elles seront jeunes, technophiles et connectées au monde via leur téléphone portable. Alors que l’Europe vieillit, l’Afrique déborde d’énergie et de créativité juvéniles. Ce potentiel démographique est le moteur de la révolution numérique.

Les opportunités pour les entreprises européennes sont ici quasiment illimitées. De la construction d’infrastructures numériques (centres de données, réseaux de fibre optique 5G), à l’expansion dans les technologies financières (fintech), où l’Afrique, grâce aux paiements mobiles (comme M-Pesa au Kenya), a souvent devancé l’Occident, en passant par le commerce électronique, les technologies de la santé (e-health) et l’éducation numérique. Des pays comme le Nigeria, le Kenya, l’Afrique du Sud et le Rwanda sont devenus des pôles d’innovation dynamiques qui attirent du capital-risque du monde entier. Pour les entreprises technologiques et les startups européennes, le marché africain, avec plus d’un milliard de clients potentiels, est une opportunité qu’elles ne peuvent se permettre d’ignorer.


 

3. L’énergie renouvelable : l’Afrique, une future superpuissance verte mondiale ?

 

L’Afrique a le plus grand potentiel de production d’énergie solaire au monde. Le désert du Sahara, s’il était couvert de panneaux solaires, pourrait alimenter la planète entière. S’y ajoutent d’énormes potentiels pour l’énergie éolienne, géothermique et hydroélectrique. Pour l’Europe, qui cherche à se libérer de sa dépendance aux combustibles fossiles russes, une vision fascinante s’ouvre.

Investir dans de vastes parcs solaires et éoliens en Afrique du Nord ne contribuerait pas seulement à électrifier le continent lui-même, mais pourrait aussi fournir de l’énergie propre à l’Europe via des câbles sous-marins. La vision de la production d‘hydrogène vert est encore plus ambitieuse. Des pays comme la Namibie, le Maroc ou l’Égypte lancent déjà, avec le soutien européen, des projets massifs de production d’hydrogène vert à partir de sources renouvelables, qui pourrait devenir le carburant clé de l’avenir pour l’industrie et les transports européens. Le partenariat dans le domaine de l’énergie peut ainsi être le fondement d’un avenir commun et climatiquement neutre.


 

4. L’agriculture et la sécurité alimentaire (Agri-tech)

 

L’Afrique dispose d’environ 60 % de toutes les terres arables non exploitées du monde. Pourtant, paradoxalement, c’est un importateur net de denrées alimentaires. La cause réside dans la faible productivité, le manque d’infrastructures et les impacts du changement climatique. Cela offre un espace immense pour le savoir-faire et les technologies européennes.

Il ne s’agit pas d’exporter des aliments européens vers l’Afrique, mais d’exporter des technologies et des connaissances qui aideront l’Afrique à se nourrir elle-même et à devenir le grenier du monde. Les entreprises européennes peuvent offrir des solutions dans l’agriculture intelligente (agri-tech), comme les systèmes d’irrigation, les drones pour la surveillance des cultures, les semences de qualité résistantes à la sécheresse ou les équipements modernes pour la transformation et le stockage des récoltes. L’augmentation de la production agricole en Afrique ne ferait pas seulement progresser la sécurité alimentaire mondiale, mais créerait également des millions d’emplois dans les zones rurales africaines.


 

5. Infrastructures et urbanisation : construire les villes du futur

 

L’Afrique est le continent qui s’urbanise le plus rapidement. Ses villes se développent à un rythme exponentiel, ce qui exerce une pression énorme sur les infrastructures. Le besoin d’investissements dans les transports, le logement, les réseaux d’eau et d’assainissement, l’énergie et la gestion des déchets est estimé à des centaines de milliards de dollars par an.

Pour les entreprises européennes de construction, d’ingénierie et de technologie, c’est une opportunité unique. Contrairement au modèle chinois, souvent critiqué pour son endettement et sa faible qualité, l’UE propose, dans le cadre de son initiative Global Gateway (un plan d’investissement de 300 milliards d’euros), un partenariat fondé sur la durabilité, la transparence et des normes élevées. La construction de villes intelligentes (smart cities), de couloirs de transport efficaces et d’infrastructures écologiques est précisément le domaine où l’Europe peut faire valoir ses forces.


 

Défis et nécessité de changer de mentalité

 

Le chemin pour saisir ces opportunités n’est bien sûr pas sans obstacles. L’instabilité politique dans certaines régions, la corruption, la bureaucratie et les risques sécuritaires restent des défis majeurs. La concurrence croissante de la Chine, de la Russie, de la Turquie et des pays du Golfe est également un facteur clé.

Pour réussir, l’Europe doit changer radicalement d’approche. Elle doit abandonner son regard paternaliste et traiter les pays africains comme des partenaires égaux. Elle doit écouter leurs besoins et leurs priorités. Au lieu de simplement „extraire et emporter“ les matières premières, elle doit investir dans les capacités de transformation locales et la création de chaînes de valeur sur place. Elle doit offrir non seulement des financements, mais aussi un transfert de technologies et d’éducation.

L’initiative Global Gateway est un pas dans la bonne direction, mais sa mise en œuvre doit être rapide et flexible. L’Union européenne a une chance unique de lier ses intérêts stratégiques – la transition verte et numérique, la sécurité énergétique et la croissance économique – avec le potentiel immense et les aspirations du continent africain. Si elle saisit cette opportunité historique correctement, elle ne créera pas seulement de nouveaux marchés pour ses entreprises, mais elle posera les bases d’un monde plus stable, plus prospère et plus juste pour les deux parties. Si elle hésite, elle laissera à d’autres le soin de façonner l’avenir de l’Afrique, et par conséquent, celui du monde.