OTTAWA/MADRID – La panne d’électricité catastrophique qui a paralysé l’Espagne et le Portugal pendant dix heures le 28 avril dernier et touché 60 millions d’Européens soulève de sérieuses questions quant à la stabilité des réseaux énergétiques fortement dépendants des sources renouvelables. Alors que le Canada célèbre la victoire électorale de politiciens prônant une transformation verte radicale, l’expérience de la péninsule ibérique est perçue par certains, notamment dans la province de l’Alberta, comme un sinistre présage de ce qui pourrait attendre les citoyens canadiens.
La première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, a averti que si les ambitieuses visions écologiques se concrétisaient, les Albertains se retrouveraient dans le froid et dans le noir. Ses craintes découlent du fait qu’au moment de l’effondrement du réseau hispano-portugais, les sources renouvelables, principalement l’énergie solaire, fournissaient 78 % de l’électricité totale, un pourcentage critique. Lorsqu’un problème encore indéterminé est apparu dans le système, ces sources se sont révélées incapables de supporter la charge et ont été massivement coupées. Les opérateurs du réseau ont été contraints de recourir au « scénario catastrophe » : un redémarrage complet du système à froid, comme l’indique l’analyse de l’University College Dublin.
L’analyse publiée par l’Université de Salamanque en Espagne souligne une différence fondamentale : alors que les sources traditionnelles de charge de base, telles que les barrages hydroélectriques ou les centrales nucléaires, sont capables de maintenir une fréquence stable du réseau même en cas de changements soudains dans la production ou la demande, les sources renouvelables variables, telles que le photovoltaïque, n’ont pas cette capacité.
Cette panne constitue donc un « signal d’alarme » pour les responsables politiques européens et les experts en énergie, comme l’a également souligné l’association Eurelectric, qui représente le secteur européen de l’électrotechnique. Elle a souligné la vulnérabilité des pays qui dépendent de plus en plus du réseau électrique pour leurs besoins énergétiques. Par exemple, plus de la moitié du réseau ferroviaire espagnol est électrifié, ce qui a entraîné l’immobilisation immédiate des trains de voyageurs dans tout le pays. Même l’Institut de Stockholm pour l’environnement, qui soutient la décarbonisation, a conclu que la panne avait mis en évidence le danger de surcharger les systèmes électriques vieillissants avec des technologies vertes. Selon l’institut, la question n’est pas de savoir si la transition doit se poursuivre, mais si les investissements sont suffisamment rapides pour maintenir la stabilité du système.
Le réseau énergétique canadien est certes différent, puisque plus de 60 % de l’électricité provient de barrages hydroélectriques stables, mais le pays s’est engagé dans la voie d’une électrification accrue de son économie sans augmenter de manière adéquate sa capacité de production. Le rapport 2023 du Forum des politiques publiques avertit que pour atteindre ses objectifs de zéro émission nette, le Canada devrait doubler sa capacité de production d’électricité en 25 ans tout en supprimant une grande partie du réseau dépendant des combustibles fossiles.
Ce contexte est particulièrement pertinent à la lumière de la politique de Mark Carney, ancien envoyé spécial des Nations unies pour l’action climatique et cofondateur de l’Alliance pour une finance nette zéro, dont l’ancienne société Brookfield Asset Management possède justement des actifs énergétiques verts dans la péninsule ibérique, notamment la société espagnole Saeta Yield SA. Dans son livre « Values », Carney souligne la nécessité de « tout électrifier » et de développer l’électricité verte, y compris l’électrification complète des transports terrestres et du chauffage des bâtiments au Canada, et l’élimination de toute énergie autre que « propre et sans émissions » d’ici 2030.
L’expérience de l’Espagne et du Portugal sert donc d’avertissement urgent : la transition vers l’énergie verte sans garanties solides de stabilité du réseau et sans investissements suffisants dans les capacités de secours et d’équilibrage peut entraîner des problèmes graves et de grande ampleur.
(Source : National Post)