Pondělí, 6. října 2025

Renault : D’un pari sur une colline de Montmartre à la naissance d’un géant industriel

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L'histoire de Renault ne commence pas dans une grande usine, mais dans un modeste atelier au fond d'un jardin à Billancourt. Elle est née de l'ingéniosité d'un jeune homme, Louis Renault, et d'un audacieux défi lancé un soir de réveillon en 1898, qui allait transformer une invention révolutionnaire en un empire automobile mondial.

PARISÀ la fin du XIXe siècle, Paris est le cœur vibrant de la Belle Époque, une période d’effervescence culturelle et d’innovations technologiques. L’automobile, encore balbutiante, est une curiosité réservée à quelques passionnés fortunés. C’est dans ce contexte qu’un jeune homme de 21 ans, Louis Renault, va changer la donne. Contrairement à ses frères Marcel et Fernand, déjà lancés dans le commerce, Louis est un mécanicien de génie, un inventeur passionné qui passe le plus clair de son temps dans l’atelier familial.

Depuis des mois, il travaille sur un projet qui l’obsède : améliorer la transmission des automobiles de l’époque. Celles-ci fonctionnent alors avec des chaînes ou des courroies, des systèmes bruyants, peu fiables et qui entraînent une perte de puissance considérable. Louis a une idée révolutionnaire : une « boîte de vitesses à prise directe ». Son système, bien plus robuste et efficace, utilise un arbre de transmission pour relier directement le moteur aux roues arrière. C’est une avancée technique majeure qui promet silence, souplesse et performance.

Pour tester son invention, il construit sa propre automobile, un petit véhicule qu’il baptise la « Voiturette Type A ». Le soir du 24 décembre 1898, confiant en sa création, Louis se rend avec des amis à Montmartre pour célébrer le réveillon. Au cours du dîner, il parie qu’il peut gravir la redoutable et très abrupte rue Lepic, une pente de plus de 13 % que les voitures de l’époque sont incapables de monter. Ses amis, sceptiques, le mettent au défi.

Le pari est lancé. Louis s’installe au volant de sa Voiturette. Sous les regards d’une foule de curieux attirés par le bruit du moteur, il s’élance. Sans effort apparent, le petit véhicule grimpe la pente avec une aisance déconcertante, laissant les spectateurs stupéfaits. La démonstration est un triomphe. Ce soir-là, la magie de Noël opère : non seulement Louis Renault remporte son pari, mais il reçoit également ses douze premières commandes fermes, accompagnées d’acomptes.

Ce succès impromptu convainc ses frères, Marcel et Fernand, du potentiel commercial de l’invention de leur cadet. Eux, qui possèdent le sens des affaires, décident de s’associer à lui. Le 25 février 1899, la société « Renault Frères » est officiellement créée. Les rôles sont clairement définis : à Louis, le génie technique, la conception et la production ; à Marcel et Fernand, la gestion administrative et commerciale. L’entreprise s’installe dans le petit atelier de Billancourt, qui deviendra rapidement le berceau d’une immense épopée industrielle.

Pour se faire un nom et prouver la supériorité de leurs voitures, les frères Renault comprennent très vite l’importance de la compétition automobile. Pour eux, la course est le meilleur des bancs d’essai et la plus efficace des publicités. Dès 1899, ils engagent leurs voiturettes dans des courses de ville à ville, comme le Paris-Trouville ou le Paris-Bordeaux. Louis et Marcel prennent eux-mêmes le volant et remportent de nombreuses victoires dans leur catégorie, forgeant la réputation de robustesse et de performance de la marque.

Cette stratégie audacieuse est cependant marquée par un drame. En 1903, lors de la tristement célèbre course Paris-Madrid, Marcel Renault est victime d’un accident mortel. Profondément affecté, Louis songe à tout arrêter. Mais la passion de l’automobile et la mémoire de son frère le poussent à continuer. Il devient alors le seul maître à bord sur le plan technique, Fernand se retirant quelques années plus tard pour raisons de santé.

Dès lors, l’entreprise ne cesse de croître. L’usine de Billancourt s’agrandit, la production se diversifie avec des moteurs pour les avions et les bateaux. L’un des symboles de ce succès précoce sera la commande de taxis par la Compagnie Française des Automobiles de Place. Ces véhicules, les Renault Type AG-1, entreront dans l’Histoire en 1914 sous le nom de « Taxis de la Marne », en transportant les soldats français sur le front pour contrer l’avancée allemande.

Ainsi, d’un simple pari entre amis sur une colline parisienne est née une légende. L’intuition technique de Louis, combinée au flair commercial de ses frères, a posé les fondations d’une entreprise qui, plus d’un siècle plus tard, reste l’un des plus grands constructeurs automobiles au monde.