Le plus grand accélérateur de particules de la Terre, le Grand collisionneur de hadrons (LHC) en Suisse, a observé pour la première fois une asymétrie fondamentale entre la matière et l’antimatière dans des particules appelées baryons. Cette découverte est cruciale pour comprendre pourquoi l’univers tel que nous le connaissons, rempli d’étoiles et de galaxies, existe. Elle pourrait être la preuve de phénomènes physiques qui se trouvent au-delà des limites de notre connaissance actuelle.
La question fondamentale de l’antimatière
La découverte a été réalisée par l’expérience LHCb, à laquelle participent 1 600 scientifiques. L’expérience s’est concentrée sur les baryons – des particules composées de trois quarks, dont les protons et les neutrons qui constituent les noyaux des atomes. Tout ce que nous connaissons est fait de cette matière baryonique : les organismes vivants, les planètes et les étoiles.
Selon la théorie du Big Bang, une quantité égale de matière et d’antimatière aurait dû être créée au début de l’univers. Étant donné que ces particules sont des images miroir l’une de l’autre avec une charge opposée, elles auraient dû s’annihiler complètement dans un immense flash de lumière. Le fait que nous vivons dans un univers composé presque exclusivement de matière est l’un des plus grands mystères de la physique.
Une asymétrie observée
Pour enregistrer cette légère asymétrie, les scientifiques ont dû analyser des données collectées depuis 2011, couvrant environ 80 000 désintégrations de baryons spécifiques. Les résultats, publiés dans la prestigieuse revue Nature, montrent une asymétrie moyenne de 2,45 %, qui dans certains cas dépassait 5 % en faveur de la matière. „Notre univers est fait de matière, et le modèle standard ne nous explique pas pleinement pourquoi“, explique María Vieites, coordinatrice adjointe de la physique à LHCb.
Cette découverte est la première confirmation expérimentale d’une théorie formulée il y a près de 60 ans par le physicien russe Andrei Sakharov. Il a postulé que cette asymétrie baryonique devait avoir causé, peu après le Big Bang, la création d’un milliard et une particules de matière pour chaque milliard de particules d’antimatière. C’est ce léger excédent qui a ensuite donné naissance à l’ensemble de l’univers observable. Bien que les premières preuves d’asymétrie aient été observées en 1964 dans un autre type de particules (les mésons), la prédiction clé de Sakharov pour les baryons est restée non confirmée jusqu’à présent.
Ce que cela signifie pour l’avenir de la physique
Bien que les données actuelles soient probablement compatibles avec le modèle standard actuel de la physique des particules, les scientifiques savent que ce modèle est incomplet. Il ne peut pas expliquer l’existence de la matière noire (environ 27 % de l’univers) et de l’énergie noire (environ 68 %). De plus, le déséquilibre prédit par le modèle standard est beaucoup plus petit que celui nécessaire pour expliquer la domination de la matière dans l’univers.
Cela signifie qu’il doit exister d’autres sources de cette asymétrie, encore inconnues. Parmi elles pourraient se trouver des particules inconnues, comme celles qui composent la matière noire. La découverte au LHCb ouvre ainsi une nouvelle voie pour leur recherche. L’accélérateur lui-même entamera bientôt une phase de modernisation qui lui permettra de multiplier le nombre de collisions de protons, augmentant ainsi les chances de découvrir enfin ces particules mystérieuses.